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Saint Louis (Sénégal) (AFP) – Le nouveau terminal gazier offshore est visible à travers la brume matinale couvrant l’océan Atlantique près de Saint-Louis, où le Sénégal rencontre la Mauritanie.
Elle a été saluée comme un nouveau départ économique dans le développement de l’Afrique, et condamnée comme une nouvelle source de pollution dans un monde étouffé par le réchauffement climatique.
Sur la plage, un canot creusé sur le sable humide est remorqué après une nuit de pêche.
« Il n’y a pas beaucoup de poissons », a déclaré Hajj Ghay, en regardant la gigantesque structure à environ 10 kilomètres (six milles) au large.
Le Sénégal, comme la République démocratique du Congo, a découvert des réserves de pétrole et de gaz, suscitant des espoirs pour les fortunes futures et l’industrialisation.
Ils n’ont aucune intention de succomber aux appels à laisser le pétrole et le gaz lucratifs dans le sol au nom de la lutte contre le changement climatique.
Le président sénégalais Macky Sall a déclaré que ce serait une « injustice » et il a lancé une contre-attaque diplomatique pour justifier l’extraction des ressources, à partir de l’année prochaine.
« Nous n’allons pas être le plus gros pollueur parce que nous ne sommes pas industriels, il serait injuste de chercher une solution (au réchauffement climatique) pour interdire à l’Afrique d’utiliser les ressources naturelles qui se trouvent sous terre », a déclaré Sall en visite au chancelier allemand Olaf Schulz. en mai.
Et le message semble devoir être entendu maintenant que les Européens, confrontés à une crise énergétique majeure à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, cherchent à diversifier leurs approvisionnements en pétrole et en gaz.
Le réchauffement climatique « exacerbe »
Le Niger, le pays le plus pauvre du monde selon l’indice de développement humain des Nations Unies, construit également le plus long oléoduc d’Afrique – un lien de près de 2 000 kilomètres (1 250 milles) vers le Bénin qui lui permettra d’exporter du brut au début de l’année prochaine.
Aliu Ba, directeur de la Campagne Océan à Greenpeace Afrique, a souligné que l’exploitation des gisements de combustibles fossiles « exacerberait » davantage la crise climatique, alors que les efforts pour limiter le réchauffement à 1,5°C semblent de plus en plus misérables.
« Quand on est pauvre, il est très difficile de renoncer à un trésor, il faut donc proposer quelque chose de plus intéressant », a déclaré François Jimen, expert au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
« Ce qui est en jeu, c’est que ces pays puissent effectivement opter pour une économie neutre en carbone.
« Cela nécessite un transfert de technologie et des investissements dans les énergies renouvelables, ce qui fait encore généralement défaut. »
Les pourparlers précédant la conférence COP27 qui s’est tenue à Kinshasa début octobre ont suscité des appels à des technologies alternatives et à des financements importants pour soutenir la transition verte.
Mais le gouvernement de la vaste République démocratique du Congo, couverte de forêts tropicales, maintient son droit d’exploiter l’essence et le gaz, malgré les critiques des groupes environnementaux qui mettent en garde contre la libération massive de carbone.
Lors de la précédente réunion de la COP, le Premier ministre congolais Jean-Michel Sama Lokonde avait indiqué que certains pays européens avaient recommencé à brûler du charbon très polluant en raison des pénuries de gaz causées par l’invasion russe.
Il a mis en garde contre la « discrimination », selon laquelle certains pays sont libres de continuer, voire d’augmenter leurs émissions, tout en empêchant d’autres pays d’exploiter leurs ressources naturelles.
Le négociateur en chef de la République démocratique du Congo sur le climat, Tosi Mbano Mbano, voit un résultat positif. « Il est ironique que l’argent du pétrole considéré comme sale nous permette d’obtenir des moyens suffisants pour restaurer notre souveraineté écologique et réduire les émissions dues à la déforestation », a-t-il déclaré.
‘changement radical’
Les découvertes de pétrole et de gaz au Sénégal représentent respectivement 0,07 % et 0,5 % des réserves mondiales.
Mais la ministre de l’Énergie et du Pétrole, Sophie Gladima, a déclaré : « Ils sont suffisamment importants pour changer fondamentalement l’économie et le tissu industriel de notre pays, et donc ses perspectives d’avenir ».
« La simple exploitation de nos hydrocarbures nous permettra d’accélérer l’accès public à l’électricité et surtout de baisser le coût de production et d’encourager l’industrialisation. »
Elle a souligné le cadre juridique nécessaire pour apporter des milliers d’emplois sénégalais au secteur, et la création de l’Institut national du pétrole et du gaz pour créer une main-d’œuvre hautement qualifiée.
Mais les pêcheurs se disent exclus de l’avenir prévu par l’Etat.
A l’approche du lancement de la production de gaz, les autorités intensifient leur contrôle de la plateforme offshore.
Un périmètre de sécurité a été mis en place et un bateau patrouille le long de la côte pour éviter qu’un marin ne soit tenté de franchir une barrière invisible.
« C’est là que nous avons trouvé la plupart des poissons », dit Hajj.
« Maintenant, nous sommes coincés dans un piège parce que nous ne pouvons plus remonter vers le nord dans les eaux mauritaniennes », ajoute le pêcheur de 39 ans.
Derrière lui, plus d’une douzaine de camarades applaudissent en rythme en poussant leur canot multicolore sur le sable, suivant les traditions séculaires sur l’étroite bande de terre séparant le fleuve Sénégal de l’océan Atlantique.
« Je ne sais que pêcher. Mes parents pêchent, et mes grands-parents aussi. Que vais-je devenir ? Que vont faire mes enfants ? » Hajj demande.
Il se retourne et regarde ses amis, les vagues se brisant. A l’horizon, une plate-forme gazière surplombe l’océan.
© 2022 AFP