Il y a trente et quarante ans, il n’était pas déraisonnable que le fils d’un boutiquier d’un village français déserté arrive premier au concours d’entrée dans une école polytechnique. Aujourd’hui – il n’y a pas de chance – dit la philosophe Chantal Delsol
TVP WEKLY : Dans « La fin de la Chrétienté », qui est votre livre le plus récent, vous mentionnez que le christianisme compris comme une civilisation est en train de disparaître en Occident. Dans quelle mesure la désintégration de cette matrice culturelle provoque-t-elle une polarisation en France ?
Chantal Delsol : Il y a bien longtemps que le christianisme n’était plus un sujet qui divisait la France. Il n’y a pas de parti qui recherche directement l’héritage chrétien (contrairement à nos autres pays). La loi de 1905 a été littéralement repoussée dans la sphère privée, peut-être irrévocablement. La foi cesse de susciter des passions intenses et est traitée avec indifférence. Cela ne compte tout simplement pas. D’un autre côté, ce qui gagne en importance depuis le milieu du XXe siècle, c’est l’effacement de la culture chrétienne, pas vraiment la foi, mais l’effacement de la culture chrétienne.
Le catholicisme a-t-il une chance de retrouver son influence ? Ou peut-être que les catholiques sont devenus l’une des nombreuses minorités vivant en France ?
Il est possible que le catholicisme français retrouve son influence précisément en tant que minorité. La jeunesse catholique, bien que peu nombreuse, est enthousiaste et bien organisée. Considérant que la génération qui a entraîné l’église vers la gauche est décédée sous nos yeux, il y a place pour l’espoir. Cependant, n’oublions pas que ces jeunes catholiques sont une infime minorité.
De nombreux observateurs affirment qu’en 2005, lors du référendum sur la constitution de l’UE, l’ancien clivage entre la gauche et la droite a été surmonté et un nouveau a émergé : la division entre ceux qui ont profité de la mondialisation et ceux qui en ont été les perdants. Cette division s’applique-t-elle à la société et à la politique françaises ?
Je ne pense pas que le clivage gauche-droite ait disparu ou disparaisse un jour. C’est une division qui existe depuis le début de l’ère, séparant ceux qui l’acceptent et ceux qui la rejettent. Dès l’instant où le phénomène du « progrès » est apparu, pourrait-on dire, nous avons affaire à gauche et à droite. La mondialisation est considérée comme faisant partie du progrès. Ceux qui la rejettent appartiennent à la droite, ceux qui la rejoignent – appartiennent à la gauche.
C’est vrai : cette dichotomie définit la société d’aujourd’hui ainsi que la politique française. La fracture gauche-droite contemporaine est basée sur des questions telles que : la protection des frontières, l’immigration, les emplois à l’étranger, les cours d’anglais obligatoires, etc. Pire encore, cette division s’applique non seulement aux situations, mais aussi à la vie publique.
Ces deux groupes – l’élite et le reste de la société – perçoivent la situation interne sous deux angles différents. Le sociologue Jérôme Fourquet souligne que 77% des Français aisés sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « la priorité est de transformer en profondeur le pays pour le rendre adapté à l’évolution du monde ». Parmi les autres groupes sociaux, seule une petite minorité soutient cette hypothèse. Est-ce à dire que les élites françaises ont une vision de leur pays inconciliable avec les aspirations des gens ordinaires ?
Comme je l’ai dit, le clivage gauche-droite peut être compris sous l’angle social. Auparavant, disons au XIXe siècle, la bourgeoisie défendait l’ordre et le prolétariat luttait pour le changement. Aujourd’hui c’est le contraire. Les gens veulent maintenir le statu quo et les élites en faveur de la modernisation mondialisée.
Le peuple est incapable de suivre l’élite. Pour profiter de la mondialisation, il faut être polyglotte, recevoir une éducation, croire en soi et être ouvert sur le monde. Ces personnes ne sont pas nombreuses, mais elles constituent le groupe qui décide du sort des autres. Tandis que les gens, qui sont apparentés à leur pays d’origine, ne parlent que le français et ne voyagent pas. Aujourd’hui, nous avons affaire à une dichotomie majeure entre ceux que David Goodheart appelle « Somewheres » et « Anywheres ».
Dans quelle mesure l’immigration a-t-elle conduit à cette polarisation ?
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Traduit par : Dominik Szczęsny-Kostanecki
source:
TVP Hebdomadaire